Dossier

Pr Youcef Tefani : “La taxe sur le tabac a été augmentée de 200% depuis 2015”

Le professeur Youcef Terfani, directeur de la prévention et chargé des maladies non transmissibles au ministère de la Santé

Le tabagisme est nocif pour la santé et il est responsable de plusieurs maladies, dont le cancer du poumon. L’Algérie est signataire de la Convention-cadre de l’OMS visant à réduire la consommation de tabac. Le professeur Youcef Terfani, directeur de la prévention et chargé des maladies non transmissibles au ministère de la Santé, nous parle dans cet entretien de la stratégie nationale anti-tabac et des perspectives futures.

Interview réalisée par Yamina Baïr

Quelle est la stratégie du ministère de la santé de lutte anti-tabac ?

Nous avons mis en place un plan d’action de lutte anti-tabac. C’est un plan d’action sur des périodes de cinq ans qui est renouvelé depuis 2008. Le dernier plan s’est terminé en 2020.

En raison du Covid 19, nous n’avons pas encore lancé un nouveau programme. Actuellement, nous sommes en train de préparer le plan 2025-2030.

Qu’est-ce qu’il y a dans ce plan ?

En fait, il s’agit d’un plan d’action donné par l’OMS, qui fournit à chaque pays des directives pour lutter contre le tabac. Il existe un ensemble d’actions à mener pour chaque pays. En anglais, cela s’appelle « MPOWER ».

Le M désigne le « monitoring », c’est-à-dire la surveillance de la consommation des produits du tabac.

Le P désigne le « protecting », c’est-à-dire protéger la population générale du tabagisme passif, comme l’interdiction de l’usage du tabac dans les lieux publics.

Le O désigne « offering », c’est-à-dire offrir une aide à ceux qui veulent arrêter de fumer, ainsi que la mise en place de consultations anti-tabac.

Le W désigne le « warning », qui fait référence à la prévention contre les méfaits du tabac. Enfin, le R désigne le «rising», c’est-à-dire l’augmentation des taxes sur les produits du tabac.

Est-ce que ce plan a permis de réduire la consommation ?

Nous avons mis en place des actions pour chacune de ces mesures. Par exemple, concernant la surveillance de la consommation de tabac, je peux vous dire qu’actuellement, la consommation de tabac chez les adultes âgés de plus de 18 ans est de 16,5 %.

Chez les jeunes de moins de 15 ans, elle est de 9,2 %. Les femmes représentent 1 %, mais ce chiffre pourrait être plus élevé, car il est difficile de l’évaluer, étant donné que c’est encore un sujet tabou dans notre pays.

Ces chiffres datent de 2017. Donc, la consommation de tabac a diminué chez les adultes, mais pas chez les jeunes. Nous sommes un pays où 60 % de la population est jeune, et la consommation est importante chez eux, notamment les écoliers. Pourquoi la consommation diminue-t-elle chez les adultes ?

Parce qu’à mesure qu’ils vieillissent, ils prennent conscience des risques de maladies et arrêtent de fumer. Ils sont davantage sensibilisés aux complications.

Quelles sont les mesures qui ont été prises contre le tabagisme passif ?

Concernant l’usage du tabac dans les lieux publics, le «Protecting », il est interdit de fumer dans des espaces fermés, comme les salles de réunion. En dehors de ces espaces, la personne peut fumer.

Nous nous sommes déplacés dans nos hôpitaux, et la situation a évolué. Il y a cinq ans, tout le monde fumait à l’intérieur des services.

Maintenant, plus personne ne le fait, car ce n’est plus autorisé. C’est la même chose dans les bureaux de poste, où il y a moins de personnes qui fument.

La loi sanitaire de 2018 nous oblige à revoir le décret de 2001, car cette loi impose des amendes aux personnes qui fument dans les lieux publics ou là où cela est interdit.

L’amende est de 3 000 dinars pour la première infraction, et en cas de récidive, elle passe à 5 000 dinars.

Nous sommes en train de chercher des mécanismes d’application avec les collectivités locales, car ce n’est pas le ministère de la Santé qui va faire paye les contrevenants.

Nous avons décidé qu’il était nécessaire de revoir le décret de 2001 et d’introduire de nouvelles sanctions, car celles qui y figurent actuellement sont principalement administratives, telles que des mises à pied de quelques jours.

Désormais, il faut toucher au porte-monnaie, car c’est grâce à ce type de sanctions que les pays européens ont pu réduire la consommation de tabac.

Ces sanctions concernent les espaces fermés. Existe-t-il une réflexion concernant les espaces publics tels que les terrasses, les arrêts de bus, etc. ?

Nous voulons élargir l’interdiction de fumer à d’autres espaces publics, qu’ils soient fermés ou ouverts. Même à l’intérieur des maisons et des voitures, les gens fument. Nous allons interdire de fumer dans les voitures. C’est une méthode qui a donné des résultats dans d’autres pays.

Selon l’OMS, de nombreux cas de cancer sont directement liés au tabagisme passif. Le fumeur passif inhale la fumée de la même manière que celui qui fume.

Comment se fait l’accompagnement du sevrage tabagique ?

Là où nous avons trouvé des difficultés c’est dans la création des unités anti-tabac. Il y a une consultation qui a été ouvertes récemment, au CHU Beni Messous.

Les fumeurs pourront aller consulter au service de Pneumologie, il y a des équipements pour tester les fumeurs et prescrire les anti nicotiniques qui peuvent remplacer la consommation des cigarettes et aider le fumeur dans le sevrage, comme les patchs et les gommes nicotiniques.

Quelle est la stratégie de prévention du ministère de la santé ?

Nous célébrons chaque année la journée du 31 mai pour sensibiliser la population aux méfaits du tabac. Nous organisons des campagnes, notamment en affichant des posters dans les milieux scolaires et universitaires. Il existe une stratégie nationale multisectorielle qui est mise en œuvre par chaque secteur concerné par la lutte anti-tabac.

D’ailleurs, je félicite le secteur des Finances, qui a joué un rôle très important dans la réduction de la consommation de tabac grâce aux impôts et aux taxes.

Un arrêté, publié en 2023, a permis pour la première fois au ministère des Finances de fixer les prix du tabac, alors qu’auparavant chaque buraliste vendait le tabac à sa manière. Le prix du tabac a encore été augmenté dans la loi de finances 2025. La France, par exemple, a réduit la consommation de tabac en augmentant les taxes.

C’est toucher au porte-monnaie des citoyens. Même si le risque est le même, que l’on fume une cigarette ou plusieurs, réduire la consommation reste un pas en avant. Nous sommes très optimistes.

Actuellement, les responsables des autres secteurs, tels que les transports et la poste, ont interdit de fumer à l’intérieur. Il reste encore les domiciles. 33 % des fumeurs fument à l’intérieur de leurs domiciles. Le tabagisme passif est particulièrement grave pour la famille, en particulier pour les enfants.

Comment évaluez-vous ces résultats, 20 ans après la signature de la Convention-cadre de l’OMS ?

Les résultats sont évalués en fonction de chaque point que nous avons abordé. Toutefois, l’évaluation n’est pas uniforme d’un point à l’autre.

Nous n’avons pas encore atteint l’objectif visé. Nous souhaitions une interdiction totale de l’usage du tabac dans les lieux publics. Mais, les gens fument encore à l’intérieur des cafés, et il est rare que cette pratique soit interdite. Le secteur du commerce affirme que cela ne relève pas de sa responsabilité.

Par rapport à d’autres pays, notre classement reste insuffisant, car l’interdiction dans notre pays est partielle. En ce qui concerne la politique d’aide au sevrage tabagique, nous avons élaboré des guides, mais l’opérationnalisation des consultations est partielle, car nous rencontrons des difficultés pour obtenir des substituts nicotiniques. Ceux-ci coûtent entre 1000 et 2000 dinars.

Nous avons demandé à ce que la sécurité sociale les rembourse comme des médicaments, mais des priorités sont à prendre en compte. Il y a environ 4 millions de fumeurs dans le pays, et leur fournir gratuitement des substituts nicotiniques représente un coût considérable.

Nous cherchons des solutions pour que les citoyens aient accès à ces substituts sans que cela soit trop onéreux.

Avec le ministre de la Santé, nous envisageons de faire un plaidoyer en faveur de la gratuité lors de la première prise, et de proposer la deuxième prise sur ordonnance.

Il y a au moins 53 unités de consultation au niveau national, dont au moins une dans chaque wilaya. Mais elles ne sont pas opérationnelles à 100%.

Pour l’heure, elles se contentent de donner des conseils. Le meilleur moyen c’est de fournir des conseils, mais il est ensuite nécessaire de prescrire des médicaments.

Enfin, concernant la taxation des cigarettes, la taxe a été augmentée de 200 % depuis 2015.

Y. B.

You may also like

Prévention du diabète : Encore du chemin à faire
Dossier

Prévention du diabète : Encore du chemin à faire

  • 20 novembre 2024
La prévalence du diabète ne cesse d’augmenter alertent les spécialistes avec son lot de complications vasculaires dont les conséquences sont
Diabète et santé oculaire : Focus sur la complication la plus redoutée
Dossier

Diabète et santé oculaire : Focus sur la complication la plus redoutée

  • 20 novembre 2024
La rétinopathie diabétique est l’une des complications les plus fréquentes causées par le diabète. Elle peut entraîner d’autres complications, telles