Le professeur en hématologie, Pierre Colonna, est décédé à l’âge de 90 ans, le 23 novembre 2024 à Paris, emporté par la maladie. Son épouse, Fatema Colonna, lui a rendu un hommage émouvant lors d’une cérémonie organisée au Centre Pierre et Marie Curie (CPMC), le 18 janvier 2025.
Pierre est né à Tunis d’un père corse, qui s’appelait Martin, et d’une mère, née à Oran, prénommée Cécile. Il avait quatre frères et sœurs et avec lesquels, il a vécu une enfance heureuse. Après un bref passage, d’une durée de deux ans, à Bastia, il suit ses parents à Alger, où son père, de fonction inspecteur des douanes, venait d’être muté. Il avait alors onze ans.
L’Algérie deviendras son pays, il deviendra algérien
Pierre a grandi au domicile familial, situé dans les quartiers européens, comme on les appelait à l’époque. Il n’a rencontré les Algériens que plus tard, en étant adolescent dans les camps de scouts. Il a découvert le grand dénuement et la pauvreté dans lesquels vivaient beaucoup d’entre eux. Il s’est alors engagé dans des actions médicales et sociales d’alphabétisation parce qu’il a pris conscience de l’injustice, qui régnait dans le pays.
Il comprendra plus tard, en tant qu’étudiant, que le système colonial qui est à l’origine de cette injustice. Il sera vite convaincu de la légitimé du combat indépendantiste algérien, ainsi que du droit des peuples à l’autodétermination.
Il s’investira alors dans le mouvement de libération de l’Algérie auprès de camarades algériens. Il rejoint déjà en 1953, alors étudiant en médecine, l’Association Algérienne pour l’Action Sociale (AJAAS), aux côtés de Pierre Roche, Claudine et Pierre Chaulet.
Au déclenchement de la guerre de libération et la création une année après, l’Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens (UGEMA), il soutiendra ses amis au sein de cette organisation, qui adoptera en 1956 lors de son deuxième congrès, tenu à Paris, deux résolutions : L’indépendance de l’Algérie sans aucune condition et l’ouverture des pourparlers entre le FLN et les autorités coloniales.
Il était proche du professeur de latin, André Mandouze, engagé aux côtés du FLN et dans la lutte contre la torture, et qui avait organisé, à Paris, le Comité d’action contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord. Pendant cette période, Pierre se lie d’amitié aussi avec Zoulikha Bekadour, Mohamed Khan, Mohamed Seddik Benyahia, et bien d’autres.
Pierre est nommé à la suite de sa réussite au concours Professeur de Médecine en Hématologie
Pierre faisait partie de cette catégorie d’étudiants libéraux, « chrétiens de gauche » qui, pendant la période 1954-1962, prenaient beaucoup de risques pour s’affirmer à contre-courant du mouvement de l’Algérie Française.
Après l’indépendance, Pierre est nommé à la suite de sa réussite au concours Professeur de Médecine en Hématologie. Ses convictions pour une Algérie libre et indépendante l’ont amené, conformément aux accords d’Evian, à poursuivre ses engagements et à choisir la naturalisation algérienne pour devenir un citoyen de plein droit et de contribuer à la construction de son pays de cœur.
La médecine en générale et en particulier, l’hématologie et la maladie de Hodgkin, ont été les passions professionnelles de Pierre tout au long de sa vie. Mais il en avait d’autres passions.
Pierre dévorait les livres, il lisait beaucoup les romans policiers, d’espionnage et d’anticipation. Il était également un cinéphile averti. Il aimait aussi la mer et la navigation en voilier qu’il a pratiqué pendant de nombreuses années ; Il avait acquis avec des amis un voilier de sept mètres, puis en a fait en 1994 don à l’école de voile d’Alger.
Pierre était un passionné du Sahara. Son amitié avec les frères Benmiloud lui a fait découvrir ce monde immense où il prenait plaisir à conduire un véhicule (ce qui était un privilège octroyé par son ami Redouane, surnommé le Boss).Il partageait ces moments avec ses amis et sa famille.
Pierre a mis du temps à s’adapter au climat et à la lumière parisienne
Pierre s’est marié une première fois en 1957 et il a eu quatre enfants, puis Flore est née après notre union en 1993. Nous nous étions contraints à l’exil en France en 1994 durant la période qui a endeuillée l’Algérie et à la suite des menaces de morts que Pierre a reçu. Bien qu’il soit entouré de sa famille et de ses amis, ce départ a été un déchirement pour Pierre.
Ce n’était au départ que temporaire puis avec le temps, il nous était devenu difficile de retourner vivre à Alger. Pierre a mis tu temps à s’adapter au climat et à la lumière parisienne. Dès qu’il le pouvait, il sautait dans un avion pour revenir à Alger. Il a été invité régulièrement aux congrès et journées organisées par la société algérienne d’hématologie. Il était très heureux d’y participer.
Passionné par l’hématologie, par la médecine et par la science
A Paris, Pierre a intégré la faculté Necker et repris des activités de recherche et de soins, d’abord à l’hôpital Laennec puis à l’hôpital Pompidou, avec son ami Jean Marie Andrieu. Après sa retraite, Pierre a poursuivi ses recherches sur la maladie de Hodgkin jusqu’en 2015. Il a rejoint, par la suite, un comité d’éthique pour la protection des personnes qui se prêtent à la recherche clinique.
Passionné par l’hématologie, par la médecine et par la science, il était l’une des grandes figures de ce comité. Il s’est donné pour tâche de contribuer à la protection des personnes se prêtant aux recherches, qu’elles soient malades ou non.
Très rigoureux, il a permis à ses collègues de comprendre non seulement les enjeux scientifiques et médicaux des projets de recherche qu’il expertisait, mais aussi les enjeux éthiques de chacun des protocoles qu’il analysait avec clairvoyance.
Plus intéressé par cette dernière dimension que par les contraintes légales et règlementaires, mouvantes, il n’a jamais hésité pendant toutes ces années, à prendre et soutenir des positions en faveur de la protection des personnes et de leur libre arbitre. Il s’y est investi jusqu’au mois d’avril 2024.
Pierre a été très courageux malgré les souffrances morales et physiques inhérentes à son état de santé, à l’hospitalisation.
Pierre a passé les 6 derniers mois de sa vie dans une chambre d’hôpital et ce, à partir du mois de mai 2024. Nous avons vécu ces 6 mois dans cette chambre d’hôpital où je l’ai accompagné et soutenu tous les jours. Je lui apportais le courrier, les nouvelles qui venaient de l’extérieur, les messages de ses amis, de Flore quand elle n’était pas à Paris.
Pierre s’est intéressé jusqu’au bout à la situation en Algérie, en France, au Moyen Orient, aux élections aux Etats-Unis. Durant ces six derniers mois, nous avons lu ensemble de nombreux livres dont des romans policiers, de la poésie. Nous avons aussi écouté de la musique (du Jazz, Lili Boniche et les compagnons de la chanson).
Nous avons refait des tas de voyages à travers les photos souvenirs dont celles d’un voyage au Sahara avec son ami, Denis Vasse, dont il me parlait souvent.
Pierre était heureux de voir ses enfants, ses petits-enfants, nos amis qui venaient le visiter régulièrement, ou l’appelaient au téléphone. Les représentants du gouvernement Algérien, dont le chargé d’affaire à l’ambassade à Paris, ont maintenu des contacts constants, des visites pendant toute la durée de l’hospitalisation, et étaient présents aux obsèques.
D’un point de vue plus personnel, Pierre m’a accompagnée pendant toutes ces années de vie commune, dans mon évolution personnelle bien entendu, et dans le domaine professionnel, avec beaucoup de générosité et de tact, ne ménageant pas sa peine pour me soutenir lorsque j’avais des doutes, et me conseiller avec la plus grande clairvoyance.
Il était présent lors de toutes les épreuves, et surtout très soutenant, à chaque fois que j’ai pris de nouvelles fonctions. J’ai eu la chance, la joie, le privilège de partager la vie de Pierre pendant 37 ans.
Pierre était un homme discret, pudique, homme intègre, fidèle en amitié, engagé, et qui a fait le choix juste pour une Algérie indépendante.
C’était un homme de cœur, qui s’en est allé et nous a laissé infiniment triste pour longtemps.
Merci à toi Pierre. Repose en paix
Par Fatema Colonna