Entretien avec Dr Abdelouahed Kerrar PDG des laboratoires Biopharm et Président de l’UNOP
Le président de l’Union nationale des opérateurs de la pharmacie (UNOP), Dr Abdelouahed Kerrar, revient dans cet entretien, accordé à TDMsantInov, sur la situation du marché algérien de l’industrie pharmaceutique. Il explique les enjeux futurs de la production locale avec ses nouveaux défis tout en évoquant la question relative aux ruptures des médicaments.
Propos recueillis par
Djamila Kourta
Le secteur de l’industrie pharmaceutique a connu une véritable ascension depuis quelques années. Quelle évaluation faites-vous aujourd’hui ?
Abdelouahed Kerrar : Il faut reconnaitre que les progrès accomplis par l’industrie pharmaceutique nationale ont été spectaculaires au cours des vingt dernières années. Sur un marché qui connaissait une croissance rapide de la demande locale, de 10% en moyenne, la part de la production locale y est passée de moins de 20% en 2012 à plus de 70% actuellement. Cette croissance aura été d’autant plus remarquable qu’elle a été acquise y compris dans une période antérieure où tous les autres secteurs industriels perdaient des parts de marché par rapport à l’importation.
Les autorités publiques en ont tiré la leçon et tentent d’impulser une relance de l’industrie nationale en s’inspirant des mêmes ressorts qui ont fait le succès de l’industrie pharmaceutique et notamment : un système efficace de protection de la production locale contre la concurrence de l’importation ; l’appui sur la recherche scientifique et la coopération universités – entreprises ; un système d’information fonctionnel sur l’état du marché et sur son évolution ; etc.
Pour l’avenir de notre industrie, les perspectives ouvertes sont à la mesure des défis qui sont les siens, à savoir la fabrication des produits innovants et à forte valeur ajoutée, la fabrication des produits de biotechnologie et le gain de parts croissantes de marchés à l’exportation.
De nombreuses entreprises ont vu le jour ces dernières années malgré le contexte économique difficile. Est-ce que ces entreprises ont apporté une valeur ajoutée dans le développement dans cette industrie ?
Abdelouahed Kerrar : Il vrai que le secteur pharmaceutique national a été fortement attractif pour les investisseurs nationaux. Beaucoup de projets, dont certains étaient en attente depuis des années, ont pu être débloqués et entrer récemment en production. Bien qu’il est à parfaire et à raccourcir, l’enregistrement des nouveaux produits a lui-même été également rendu plus fluide et plus réactif. Le résultat, c’est la création de centaines d’emplois hautement qualifiés, un élargissement de la gamme des produits mis sur le marché, une réduction de la facture des importations et une dépendance plus nette à l’égard des soubresauts d’un marché mondial souvent perturbé. Nous avons besoin d’investissements dans des classes thérapeutiques qui restent aujourd’hui importées. Le marché local est devenu étroit pour les deux cents établissements pharmaceutiques agréés.
Les ruptures de certains médicaments importés ou fabriqués, sont toujours signalées par les malades et les pharmaciens. Quelles sont les raisons de ces ruptures ?
Abdelouahed Kerrar :Il faut souligner que la pandémie du Covid 19 a eu, entre autres conséquences, de perturber en profondeur les chaines de valeur à l’échelle mondiale et, cela, singulièrement pour un secteur aussi sensible que le médicament. Le résultat, c’est que ce phénomène des ruptures affecte aujourd’hui tous les pays du monde, y compris les plus développés. L’Algérie n’y échappe pas.
Cela dit, notre pays dispose de deux avantages précieux : d’une part, celui de pouvoir produire localement une part substantielle des produits dont il a besoin et, d’autre part celui d’un système d’information intégré qui donne la capacité de suivre de manière rapprochée et fidèle l’état du marché et de prévoir son évolution, produit par produit.
Nous devrions apprendre à mieux exploiter ces avantages et cela passe par une anticipation des décisions à prendre au niveau des entreprises, pour chaque médicament ou pour chaque intrant susceptible dont la chaine d’approvisionnement peut être potentiellement perturbée au niveau mondial. Ainsi, là où les délais de réapprovisionnement étaient jusqu’ici de trois ou quatre mois, ils sont aujourd’hui allongés de deux ou trois mois supplémentaires. De son côté, l’administration devrait mieux partager avec les entreprises l’état de l’information disponible à son niveau et, sur ces bases, garantir la célérité de délivrance des autorisations d’importation.
Mais, par-dessus-tout, il y a un travail important qui reste à faire, celui de fixer de manière précise et consensuelle les règles présidant à la protection du marché pharmaceutique interne, avec les responsabilités incombant à chaque intervenant.
Des signalements de falsification de produits, de non- respect des bonnes pratiques de fabrication et de retrait des médicaments ont suscité » de vives inquiétudes de l’opinion publique. Ne pensez -vous pas que cela pourrait porter préjudice à cette industrie ?
Abdelouahed Kerrar :Il faut bien prendre la mesure réelle de ces disfonctionnements dans la chaine de fabrication et de distribution dans notre pays. Précisons d’abord que le nombre d’incidents significatifs est très réduit, compte tenu du nombre élevé d’unités de fabrication en place dans notre pays, du nombre important des médicaments qui sont fabriqués au quotidien.
De tels incidents surgissent dans tous les pays du monde. Le plus important, en l’occurrence, c’est que ces incidents soient d’abord détectés et qu’ils soient par la suite circonscrits puis traités conformément aux procédures réglementaires en vigueur, des procédures en ligne avec les meilleurs standards internationaux. Ce traitement inclut du reste une obligation d’information de l’ensemble des acteurs du réseau pharmaceutique et des messages appropriés en direction des usagers et des citoyens.
Ce qui serait vraiment inquiétant, ce serait qu’ils échappent aux services compétents en charge de la surveillance et de la vigilance concernant la qualité de l’ensemble des produits mis en marché. Notre pays dispose en la matière d’une Agence des produits pharmaceutiques très professionnelle et aguerrie.Mais sans doute gagnerait -elle à être davantage étoffée , notamment pour tenir compte de la forte croissance des capacités de production en place au cours des dernières années.
L’Algérie aspire à devenir un pôle de biotechnologie et une plate- forme pour le continent africain notamment pour l’exportation. Où en est-on?
Abdelouahed Kerrar :Avec le niveau important du développement actuel de notre industrie et compte tenu des ambitions qui sont maintenant les siennes, notre pays ne peut ignorer ce segment qui est l’un des plus innovants du marché pharmaceutique mondial, celui par ailleurs dont la croissance est la plus forte. Les médicaments issus des biotechnologies représentent aujourd’hui près de 20% des ventes à l’échelle du monde. Un certain nombre de projets commencent à voir le jour sur ce terrain. Il faut juste noter que leur développement ne relève pas de la seule responsabilité des entreprises qui s’y investissement, c’est tout l’écosystème légal, scientifique, technique et organisationnel qui l’encadre qui doit évoluer dans le même temps.
Par ailleurs, la taille critique de tels investissements est telle qu’elle gagnerait à être calibrée sur les besoins d’un marché plus important que celui d’un seul pays. Une coopération entre plusieurs pays d’Afrique intéressés est même hautement recommandée.
D.K